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Qui était et d’où venait Pierre MIVILLE dit «Le Suisse» ?
après la reprise de La Rochelle en 1628, Québec était En effet, la seule réelle logique dans tout cela serait
également aux mains de l'Angleterre. Et c'est égale- qu'il ait été directement recruté comme militaire à
ment Lauzon qui a directement supervisé les prépara- Brouage, au titre d'ancien Suisse du Cardinal sachant
tifs de l'expédition en 1631. Or comme La Rochelle lire et écrire, et afin de devenir sur place capitaine
était dévastée, que Rochefort n'existait pas encore, et dans la future milice. Et donc ce serait justement là
que l'Arsenal Royal était à Brouage, ces premiers son activité principale. Du reste et depuis le début de
bateaux sont forcément partis de son port. Et de 1632 la nouvelle colonie, une part importante de ses res-
à la mort de Champlain en 1635, c'est Richelieu lui- sources provient de dépenses à finalité militaire (19).
même qui était le Gouverneur en titre de la Nouvelle
France, avec délégation sur place à Champlain, natif Or capitaine de milice était un poste important, à la
de Brouage. Et donc à son départ en 1649, cela faisait fois dans chaque paroisse, pour le seigneur du lieu, et
déjà 18 ans que Pierre MIVILLE baignait dans les pour le Gouverneur. Certes, la fonction elle-même
affaires de la Nouvelle-France. Il en avait même n'était pas rémunérée, mais elle avait certainement de
côtoyé de très près les plus hauts responsables, et nombreux "à côtés". En tout cas, elle était très recher-
avant même de s'embarquer, il avait certainement reçu chée (20). Par exemple, le capitaine avait souvent en
l'assurance à la fois de sa propre concession, et surtout parallèle des fonctions administratives et judiciaires,
et son fils François fut justement procureur fiscal de
de celle au nom de son fils François, de seulement 15
ans à l'époque. la seigneurie de Lauzon. De même, le capitaine gère
le système de mainmorte local pour le compte du sei-
gneur… Il affiche aussi certains insignes de la nobles-
Tout comme Isaac avant lui, on peut donc aussi ima-
giner qu'il avait également en poche un contrat mili- se, comme le port de l'épée et du hausse-col doré, ou
taire en bonne et due forme, mais personne ne semble la place à l'église juste après le seigneur du lieu.
l'avoir jamais recherché. De nos jours encore, et dans Enfin cette nouvelle lecture de Suisse change aussi
nos communes moyennes, l'adjoint au maire en char- complètement le sens de son canton des suisses fri-
ge de la sécurité est en effet souvent un ancien mili- bourgeois En effet, les premiers colons ne s'aventu-
taire, et dans les très grandes entreprises, le Directeur
raient jamais sur la rive Sud du fleuve, car elle était
de la Sécurité aussi, même s'ils ne viennent pas des alors tenue par des Iroquois hostiles. Or son implan-
mêmes grades. Et dans l'en-tête de leurs ordonnances, tation à la Pocatière se trouve à 80 km en aval de
nos médecins de ville mentionnent également très Québec, en zone déserte sur la rive Sud, et avec une
souvent l'endroit où ils ont fait leur internat. D'où cette largeur du fleuve de 20 km à cet endroit. À l'achat, sa
fréquente précision de "Le Suisse", et il n'y a donc rien valeur marchande était donc très faible, tout comme
là de bien original, à condition toutefois de bien lire précédemment la forêt primaire des "joux noires"
(18). dans les concessions du Haut-Jura (21). C'était donc
là un coup de poker financier peu risqué, mais une
En particulier, personne n'a apparemment jamais rele- folie sécuritaire, car l'entreprise ne pouvait réussir
vé que cette milice a justement été créée en 1649, l'an- qu'avec des colons tous anciens militaires. Sauf qu'au-
née du départ de Pierre MIVILLE, que lui-même fut cun ex garde suisse n'a été assez fou pour croire dans
capitaine de milice, et que ses sources de revenus sont les promesses de ce promoteur illuminé.
toujours restées mystérieuses. En effet, il n'a quasi-
ment pas gardé sa concession personnelle, et il l'a aus- En tout cas, et contrairement à ce qu'écrit sans doute
sitôt revendue à son futur gendre (2). Par la suite, nul un peu vite Ouimet (15), le départ de Pierre MIVILLE
ne sait d'ailleurs dire quelle fut réellement son activi- pour le Canada en 1649 n'a vraiment rien à voir avec
té économique principale, ni pourquoi il avait situé les événements de la Fronde en France. En effet, la
son projet communautaire dans une zone alors déserte première phase de la Fronde Parlementaire (1648-
du Bas Saint-Laurent (2). En fait, il semble qu'il a sur- 1649) n'a touché que Paris, et la suite de la Fronde des
tout été un entrepreneur un peu trop "dispersé", d'où à Princes (1650-1653) n'a touché la Charente qu'en
la fin de sa vie, la faillite finale de toutes ses autres 1651 au siège de Cognac (Charente). Ainsi de nos
activités (2). jours, tout est sur Wikipedia, et les "spécialistes" n'ont
qu'à bien se tenir…
40GÉNÉALOGIE Franc-Comtoise n°161