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Qui était et d’où venait Pierre MIVILLE dit «Le Suisse» ?




            Mais là aussi, nous reviendrons abondamment sur ce  (10), on sait aussi que la bascule s'est faite à peu près
            contexte helvétique.                              à la même époque, mais très progressivement. Et là
                                                              aussi, seule la grammaire latine permet de différencier
            Pour tous les latinistes de lycée de notre génération, la  un nouveau patronyme d'un surnom de métier, car le
            bible des dicos de latin était alors LE Gaffiot, monu-  premier est en français et invariable, et le second est
            ment  inégalé,  et  aujourd'hui  en  ligne  sur  Internet.  en latin et décliné. Ainsi vers 1480, seule la moitié des
            Ainsi tout le monde pourra vérifier page 959 (4) que  nouveaux bourgeois de Genève porte déjà un patro-
            "medium" est un nom neutre signifiant milieu ou moi-  nyme moderne (11).
            tié. Par contre, "media" est le féminin d'un adjectif qui
            veut  dire  lui  aussi  central  ou  moitié.  Et  donc  à  Au départ, tous les patronymes sont donc issus de sur-
            Fribourg,  la  latinisation  d'un  supposé  toponyme  noms précédemment rajoutés au "nom de baptême",
            Miéville signifiant "entre des localités" aurait donné  et la fonction première de ce sur-nom ou co-nom (en
            "de medio villae" (du milieu des villas), alors que "de  latin cognomen) était ainsi d'être un discriminant per-
            media villa" ne peut vouloir dire que du centre d'une  mettant de lever toutes les innombrables homonymies
            seule  villa,  c’est-à-dire  une  référence  générique  au  engendrées par la prééminence canonique du baptême
            bourg.                                            (5). Celui-ci était en effet considéré comme une re-
                                                              naissance avec des père et mère en religion (d'où le
            Avec une étymologie aussi banale, on pourrait ainsi  prénom de René), et en termes d'état civil, ce statut
            s’attendre  intuitivement  à  ce  que  ce  patronyme  soit  supérieur à la naissance biologique a d'ailleurs eu bien
            aussi  fréquent  que  les  trois  autres  exemples.  Or  ce  d'autres inconvénients (12).
            n'est pas le cas, et on va voir que c'est parfaitement
            normal. Mais pour le comprendre, encore faut-il avoir  Avant les patronymes, la principale source d'identifi-
            une idée un peu précise du mode d'emploi des sur-  cation était ainsi le métier (9), mais celui de la per-
            noms. Or celui-ci n'a été découvert que relativement  sonne ou celui de son père. Et à nouveau, la gram-
            récemment grâce à une activité généalogique intensi-  maire latine est la seule manière sûre de pouvoir dif-
            ve, et en particulier à force de dépouillements asso-  férencier les deux. Ainsi à Longchaumois (Jura) dans
            ciatifs exhaustifs (5,6).                         un même texte de 1390, il y a côte à côte un Romain
                                                              le vandelle et un Vuillet (fils) du pelletier (3).


                   Règle d'emploi des surnoms                 Puis en deuxième position vient le lieu de vie. Ainsi,
                                                              un pont, un pré ou un val étaient des habitats à l'écart,
            Naturellement, ces règles n'ont jamais été écrites offi-  et  donc  d'excellents  discriminants.  En  revanche,  le
            ciellement nulle part, et tout comme les règles de lec-  bourg était certainement l'habitat concentrant le maxi-
            ture en paléographie, ou les règles de traduction des  mum d'homonymies, et donc la probabilité d'une dis-
            latinisations, elles n'ont pu être identifiées a posterio-  crimination par "du bourg" était quasiment nulle.
            ri  que  statistiquement  (7),  c’est-à-dire  par  recoupe-
            ments entre des dizaines de milliers d'actes dans les  v  Transmission dans le temps
            registres  paroissiaux  (RP).  Et  naturellement,  les  Par construction, il y a donc eu une continuité locale
            auteurs anciens ignoraient tout de ces règles (8).   entre les surnoms d'avant la bascule et les patronymes
                                                              d'après. Ceci explique ainsi l'ubiquité des patronymes
            v   La genèse                                     dérivés des surnoms du pont, du pré ou du val, et l'ex-
            Schématiquement, un surnom est toujours un complé-  trême rareté de celui dérivé du surnom de mivillle.
            ment d'information nécessaire à l'identification d'une
            personne, et ce quels que soient la date, le texte et le  En France, par exemple, le fichier Géopatronyme de
            scribe.  Dès  lors,  il  faut  bien  distinguer  les  surnoms  l’INSEE nous indique le nombre de naissances cor-
            d'avant ou d'après les patronymes héréditaires.   respondant à chaque patronyme par tranche de 25 ans.
                                                              Et  donc  sur  les  mêmes  exemples  autour  de  1900,
            En France, ces derniers ont été institués en 1474 par  DUPONT (et DUPOND…) correspond à 11 000 nais-
            un décret de Louis XI interdisant de changer de sur-  sances, DUPRÉ à 3 000 et DUVAL à 7 500, contre
            nom, et en Suisse en comparant Nyon (9) et Genève  seulement  50  pour  MIVILLE  et  tous  ses  avatars.





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