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Qui était et d’où venait Pierre MIVILLE dit «Le Suisse» ?
Son origine trouve un certain nombre d'évidentes erreurs de lectu-
re, car aujourd'hui très classiques en paléographie, et
Pour les généalogistes québécois, la chasse aux ancê- dans l'accensement suivant de 1390, où l'on a à la fois
tres fribourgeois de Pierre MIVILLE est un sport le texte authentique et la transcription, la non-confor-
national, mais qui pour l’instant s’est révélé infruc- mité est indiscutable (3).
tueux. Avec le site “Généalogie des Français
d’Amérique du Nord“ (1), on peut même considérer Puis dans sa traduction ultérieure par l'historien juras-
qu’aucune source fiable ne fournit d’indication crédi- sien Alphonse Rousset (1812-1868), l'auteur du célè-
ble sur l’ascendance de ce Pierre MIVILLE. bre dictionnaire des communes, on y trouve égale-
ment un nombre ahurissant d'erreurs, voire de pures
Or connaissant l’existence d’un foyer de MIVILLE élucubrations (3). Pourtant, tout historien du 19 avait
e
très ancien à Longchaumois dans la Terre de St- étudié le latin. Par contre en sciences et techniques, on
Claude (3,22), l’idée de départ fut ainsi de rechercher connaît aussi très bien le "syndrome du spécialiste",
s’il pouvait constituer l’origine ultime des ancêtres de c'est-à-dire le postulat incoercible que la solution de
ce Pierre le Suisse de 1602. Au fil des recherches, l'é- toute énigme se trouve forcément dans sa propre spé-
tude s’est ensuite élargie à identifier les différentes cialité. Ainsi, le grand Rousset expert en communes
localisations de MIVILLE, et à rechercher leurs rap- jurassiennes avait traduit "de media villa" par "de
ports éventuels. Mièges (Jura)", et donc déjà un toponyme, comme
pour Paul Aebischer à Fribourg en 1923 (8). Pour leur
Mais comme souvent en recherche, ce que l'on décou- défense, il faut dire cependant que ces auteurs anciens
vre peut sensiblement différer de ce que l'on recher- ne disposaient pas de tous les outils et de toutes les
chait, et la réanalyse des documents sur Fribourg l'a informations que n'importe quel généalogiste d'au-
finalement emporté sur l'aspect migratoire. Et donc on jourd'hui peut avoir à sa disposition en trois clics de
se contentera de résumer les diverses implantations souris (3).
successives de MIVILLE, ainsi que leur contexte dans
l'histoire régionale, mais pour ceux que cela intéresse, Pour autant, un enseignement répétitif de l'activité de
tous les détails restent disponibles sur Généanet (22). dépouillement associatif sur les AD en ligne est qu'en
matière de latin et de paléographie, certains historiens
Par contre, on s'étendra davantage sur le cas des professionnels ne valent vraiment pas mieux que les
MIVILLE jurassiens, car ils sont de très loin les généalogistes un peu trop amateurs (18).
mieux documentés, et leur exemple servira ensuite à
mieux comprendre les MIVILLE de Fribourg. Ainsi dans ce minuscule village de Longchaumois
(Fig. 4), et de surcroit régulièrement décimé par les
épidémies, la signification de ce surnom est pourtant
Les MIVILLE du Haut-Jura parfaitement transparente :
- le "de" n'est pas une particule nobiliaire,
Les MIVILLE de Longchaumois. mais l'indication d'un lieu de vie, comme dans le très
typique "de la vena" du hameau voisin de Cinquétral
v Les accensements (13). Et même en 1950 dans sa jeunesse sanclaudien-
Cette paroisse de Longchaumois était alors immense
ne, le premier auteur était ainsi un Crolet "de la phar-
et très peu peuplée. Un accensement de 1301 y men- macie", pour le distinguer de la branche Crolet "du
tionne parmi les censitaires un dénommé Pernetus restaurant" (23).
dictus de media villa (3). - "media villa" n'est pas un toponyme, mais
une référence au bourg central.
Toutefois, on ne dispose plus de l'acte authentique, Par ailleurs, ce Pernet de Longchaumois est né avant
aujourd'hui perdu, mais d'une transcription ancienne 1280, ce qui en fait de très loin le plus ancien porteur
de ce texte latin par l'avocat Christin (1741-1799), connu de ce pas encore patronyme. De même, un
celui qui faisait équipe avec Voltaire pour justement Romain le vandelle apparaît dans l'accensement sui-
lutter contre ce système de mainmorte (13). Or on y
vant de 1390 au même Longchaumois, et il est lui
41GÉNÉALOGIE Franc-Comtoise n°161