Page 58 - Bulletin 161
P. 58
1820, l’affaire Jean NELATON, histoire d’une vengeance expéditive
Embauché le 1 octobre 1819 jusqu’à la chandeleur Après avoir ruminé son renvoi, il avait mijoté sa ven-
er
chez les BEAUQUIER, il est renvoyé au bout de deux geance. La nuit du 8 au 9 janvier, il était dissimulé
mois pour avoir exigé une forte augmentation de ses dans le grenier à foin des BEAUQUIER, y ayant
gages. Cela suscite chez lui un profond mécontente- pénétré par la grange voisine de Jacques
ment. VUILLECARD (séparée seulement de légères cloi-
sons). Au matin, il avait attendu que les cloches de
La veille du crime, le fils BEAUQUIER, qui allait l’église se taisent puis était descendu jusqu’au rez-de-
chercher du bois dans la forêt de Bouclans, avait ren- chaussée, s’était jeté sur la pauvre femme, la saisis-
contré NÉLATON près de Nancray à 10 h, lequel lui sant autour du cou de toutes les forces de ses deux
avait demandé des nouvelles de son père et s’il était mains, avait serré et serré encore. Elle avait opposé
chez lui. Le fils BEAUQUIER en a conclu qu’il vou- une sérieuse résistance, lui avait labouré le visage de
lait le rencontrer. Pourtant, c’est à Morre, à l’auberge ses ongles. Lorsqu’il avait relâché un peu la pression,
des LAVIGNE, qu’il arrive peu après et où il passe elle avait eu le temps de gémir : « Jésus, Maria,
une bonne partie de la journée. Il y mange du pain et Joseph ! Mon pauvre Jean ! Que t’ai-je donc fait, moi
du fromage, y boit du vin, s’y installe paisiblement qui t’aimais tant ! » Il ne se laissa pas pour autant
pour fumer sa pipe et puis s’endort. La femme de l’au- attendrir, cela ranima même sa fureur et il acheva ce
bergiste finit par le réveiller et il accepte enfin de par- qu’il avait entrepris jusqu’à ce qu’elle fût inanimée. Il
tir à 16 h après avoir un peu tergiversé, prétendant monta ensuite dans la chambre (les autorités quant à
qu’il attendait quelqu’un. elles pensaient que les choses s’étaient passées en
À 17 h, il s’arrête à Gennes chez Gabriel sens inverse) et avec son bâton força énergiquement
DESSIRIER, 70 ans, pour se réchauffer un petit quart un buffet, subtilisant une somme de 180 francs.
d’heure, puis lui fait croire qu’il rentre chez lui à
Osse. Le même jour, il se rend à Besançon, il descend chez
le sieur VINCENT, aubergiste, pour y boire un coup.
Le 10 janvier, lendemain du meurtre, les docteurs Il va à 13 h chez un horloger, lui laisse sa montre pour
MOREL et MONNOT sont chez les BEAUQUIER. faire remettre un cadran. À 14 h, il fait des emplettes
Ils confirment la mort par strangulation. en ville. Dans une boutique de vêtements, il achète de
l’étoffe de coton pour confectionner des gilets, deux
Le même jour, à 16 h, après que le juge d’instruction bonnets de coton (un rouge et puis un bleu), une cra-
ait décerné un mandat d’amener, le maréchal des logis vate avec des petites fleurs couleur de rose sur fond
Jean-Pierre VALLET, accompagné d’un gendarme, se blanc, très chic, et puis un joli mouchoir de poche
rend à Osse chez les BOLARD pour procéder à l’ar- avec des petites fleurs rouges entremêlées sur fond
restation. À la vue de la gendarmerie, NÉLATON, bleu. Une heure après, il est dans une autre boutique,
perturbé, grimace, mais affirme mordicus devant ses il veut se procurer une paire de gants, mais, au
parents adoptifs qu’il n’a rien à voir là-dedans. moment de payer, il dit qu’il n’a pas la monnaie. Il
D’ailleurs, de retour depuis fort peu de temps, il leur reviendra le lendemain dans la matinée et les achète-
avait certifié qu’il revenait de chez sa tante près de ra. Il se rend ensuite chez divers couvreurs et gypseurs
Quingey. Pourtant, VALLET n’est pas sans observer pour leur proposer l’achat de bardeaux que BOLARD
dans quel état se trouve le visage de son vis-à-vis : met en vente. Après cette journée bien remplie, il va
égratignures sur le nez, la lèvre supérieure, au coin de souper, en compagnie de l’horloger, et dormir à l’au-
la bouche et sur la joue gauche. berge de Jean SONNETTE. Le lundi matin, l’horloger
vient à nouveau prendre le petit-déjeuner avec
Tous se mettent en route pour Besançon. Alors qu’ils NÉLATON qui récupère ensuite sa montre à 10 h.
ne sont encore qu’à quelques centaines de mètres de Il quitte Besançon vers midi. Peu avant son arrivée à
la maison, le rusé maréchal des logis fait croire au Osse, il rencontre Jean SAUCE à Nancray qui se fait
suspect que la femme BEAUQUIER n’est pas morte fort de lui apprendre une nouvelle incroyable : un
et qu’il va être confronté avec elle. La panique se lit homicide a été commis à Gennes sur la personne de la
dans les yeux gris de NÉLATON, il passe aux aveux femme de l’adjoint au maire. NÉLATON a juste le
et reconnaît tout. temps de rentrer au domicile des BOLARD, les gen-
darmes sont sur le point d’arriver.
58GÉNÉALOGIE Franc-Comtoise n°161